Read a play

Ave Charles-Edouard !

By Isabelle Stevenson

Les personnages

 

Professeur Charles-Édouard, la cinquantaine, crâne dégarni, costume défraîchi, sandales et longue étole de couleur sombre portée comme une toge.

Anne-Charlotte, la cinquantaine, tailleur démodé, collants sombres, cheveux grisonnants.

Solange, la trentaine, robe légère féminine.

Arthur, la trentaine, jeans, chemise rose et cravatte assortie.
La pièce se déroule en trois actes, dans un chic appartement parisien.
(Dans la salle à manger du couple Solange-Arthur. Une table couverte d’une jolie nappe au milieu de la pièce. Quatre chaises. Solange met les couverts pendant qu’Arthur essaie de faire son nœud de cravatte.)
Scène 1
Arthur
Je ne comprends vraiment pas pourquoi tu insistes pour inviter ce vieillard pompeux   !

 

Solange
Arthur, je t’en prie, tu ne vas pas recommencer !

 

Arthur
Non, mais c’est vrai…qu’est-ce que tu lui trouves ? Ce n’est pas parce qu’il était ton prof préféré à la fac que tu dois l’inviter à chaque fois que ta carrière prend une tournure intéressante ! Il ne fait pas partie de la famille tout de même !

 

Solange
Mais Arthur je te l’ai expliqué cent fois ! Je ne l’invite pas pour qu’il applaudisse ma carrière mais pour qu’il me pistonne ! Cette promotion va me passer sous le nez si Magali épouse le fils du directeur du Louvre ! Elle a autant de diplômes que moi, mais en plus elle ressemble à un Boticelli !

 

Arthur
(Prends Solange dans ses bras) Et toi tu as le corps de l’Olympia de Manet ! Tu n’as rien à lui envier…

 

Solange
(Le repousse) Mais tu dis des bêtises ! Ce n’est pas la même chose ! Et puis il est hors de question que je me prête à ce jeu ! Non, il me faut l’appui d’un professeur haut-placé, un professeur estimé dans le cercle artistique parisien. Quelqu’un qui reconnaisse mes mérites, comme Charles-Édouard ….Tu sais depuis combien de temps j’attends cette place de curatrice au Musée d’Orsay ? Une place comme celle-là ne se libère que tous les 50 ans ! C’est ma chance. C’est maintenant ou jamais pour moi !

 

Arthur
Alors si j’ai bien compris on va se payer une soirée interminable avec Carlos Edouardus le Premier !  Tu sais comme il est casse-pieds avec ses Romains…Ah, les Romains ont inventé ceci, les Romains connaissaient déjà cela,… les Romains à toutes les sauces !!

 

Solange
Mais voyons tu exagères ! C’est un passionné, voilà tout !

 

Arthur
Un passionné ? Tu veux dire un pédant ! Il  va encore nous assommer avec des détails sans importance et monopoliser la conversation. Et puis…je n’aime pas la façon dont il te regarde !

 

Solange
Mais, ma parole, on dirait que tu es jaloux ! Il a d’excellentes connections dans le monde de l’art et c’est tout ce qui nous intéresse ce soir. Je te demande d’être poli et accueillant pour une soirée. Tu crois que tu peux faire cela pour moi ? Pour nous ?

(On sonne à la porte).

 

Solange
Vite ! Va ouvrir ! Et souris !

(Arthur ouvre la porte. Entrent Charles-Édouard et sa femme).

 

Arthur
Bonsoir …(il regarde l’habit de Charles-Édouard) ou devrais-je dire… Ave ! Mais entrez donc ! Quel plaisir de vous revoir !

 

Solange
Oui, quel plaisir vraiment. Il y a si longtemps !

 

Scène 2

Une demie-heure plus tard, à l’apéritif. Les quatres sont assis à la table.

 

Arthur (tient une bouteille)
Charles-Édouard,  vous reprendrez bien un apéritif ?

 

Charles-Édouard
Oui,  je veux bien, ce Cinzano me donne des forces ! Comme ils savaient vivre ces Romains !

 

Arthur (surpris)
Euh…Pardon ?

 

Charles-Édouard
Ce sont les Romains qui ont inventé la tradition de l’apéritif, ne le saviez-vous pas ? Du mot latin aperire, c’est-à-dire ouvrir ! Ah, quel savoir-vivre, quel raffinement !  On dit que… (Arthur lui coupe la parole)

 

Arthur
Raffinement ? Il me semble avoir lu qu’à l’occasion de leurs énormes banquets, ces fameux Romains s’en allaient vomir dans une antichambre prévue à cet effet, avant de revenir soulagés, près à se goinfrer de nouveau. Vous appeler cela du raffinement ?

 

Solange
Voyons, Arthur ! Tu vas nous couper l’appétit !

 

Charles-Édouard
Leur tradition culinaire était élaborée vous savez. Il devait être bien difficile de dire non à tous ces mets plus délicieux les uns que les autres !

 

Arthur
Vous voulez dire comme la recette de la souris fourrée aux noix ? (ironique…) Quel délice !

 

Charles-Édouard
Voyez-vous, les Romains maitrisaient à merveille leur environnement et savaient en tirer partie. Savez-vous par exemple ce qu’ils utilisaient comme dentifrice ?

 

Anne-Charlotte
Peut-être pourrais-tu nous le dire après le dîner mon chéri ?

 

Charles-Édouard (fier de lui)
De la cervelle de souris écrasée ! Ingénieux, non ?

 

Arthur (feint l’intérêt)
En effet !

 

Solange (fait la grimace)
Mmmh !

 

Anne-Charlotte
Changeons de sujet mon chéri ! Chère Solange, j’ai entendu dire que le curateur du Musée d’Orsay partait à la retraite. Allez-vous postuler ? Je crois que vous seriez parfaite !

 

Solange
Absolument ! C’est un poste de rêve qui serait pour moi la récompense de beaucoup d’années d’effort et de passion. Mais la compétition est très rude ! (Elle regarde du côté de Charles-Édouard, occupé à déguster son vin).

 

Anne-Charlotte
Oui, je vous comprends. Il vous faut toutes les chances de votre côté (regardant Charles-Édouard, toujours occupé à boire)…, le soutien de vos supérieurs et de bonnes recommendations….( Elle se lève soudainement) Il n’y a pas de personne mieux placée pour vous conseiller que Charles-Édouard, n’est-ce pas mon chéri ? Pourquoi ne discutez-vous pas de ce projet tout important pendant qu’Arthur me fait visiter la maison ? Vous savez comme je m’intéresse à l’architecture de fin de siècle !

 

Arthur (surpris)
Euh.. mais…oui, bien entendu chère Anne-Charlotte. Avec plaisir !

Les deux partent bras dessus-dessous, dans la pièce voisine.
Scène 3

Solange et Charles-Édouard se retrouvent seuls, à table.

 

Solange
Charles-Édouard, je suis contente que nous soyons seuls, j’avais à vous parler de choses importantes.

 

Charles-Édouard (Se lève et se dirige vers Solange)
Moi aussi chère Solange. Et nous avons si peu de temps devant nous…Laissez-moi commencer…(il regarde en direction de la porte puis prend la main de Solange).

 

Solange
Oh ! mais…je ne comprends pas ! Que voulez-vous dire ? (elle se lève et retire sa main)

 

Charles-Édouard (se rapproche d’elle)
Ne soyez pas si prude Solange ! Vous savez que je suis fou de vous depuis notre première rencontre…

 

Solange (surprise)
Mais…je…non !

 

Charles-Édouard
…et que je suis votre carrière de près. Vous êtes respectée dans la profession ma chère, votre flair est remarquable, mais vous êtes arrivée dans une impasse, si mes informations sont exactes.

 

Solange
Que voulez-vous dire par là ?

 

Charles-Édouard
Ce poste que vous briguez tant risque de vous passer sous le nez sans mon appui, vous le savez aussi bien que moi. C’est pour cela que vous m’avez fait venir, n’est-ce pas ?

 

Solange
Mais, non !… Enfin..oui, je l’admet ! Mais ce n’est pas ce que vous croyez ! Je …

 

Charles-Édouard
Nous sommes d’accord, donc ! Je suis tout disposé à vous fournir ce petit coup de piston, chère et tendre Solange (il lui reprend les mains et s’approche davantage)…si vous vous montrez un peu plus coopérative, un peu plus tendre à mon égard.

 

Solange (outrée)
Comment ? Je n’en crois pas mes oreilles !
Charles-Édouard (regarde encore en direction de la porte)
Ecoutez ma chère… Je dois participer à un séminaire sur les orgies romaines le weekend prochain à Bordeaux. Accompagnez-moi et je vous promets de placer un bon mot pour votre candidature…Qu’en dites-vous ? (la prends dans ses bras) Juste vous et moi pour un long weekend…

 

Solange (le gifle et va se placer de l’autre côté de la table)
J’en dis que vous me dégoûtez ! Je n’aurais jamais crû cela de vous ! Comme je me suis trompée à votre compte !

Arthur et Anne-Charlotte reviennent. Charles-Édouard se frotte la joue.
Arthur (ton jovial)
On dirait que la conversation est animée ici. Qu’avons-nous manqué ?

 

Charles-Édouard (fort)
J’ai fait une proposition intéressante à Solange, mais elle est indécise. J’espère, cher Arthur, que vous lui ferez entendre raison ! Sa carrière m’est importante.

 

Anne-Charlotte (souriante)
Ah, je savais que vous pouviez compter sur Charles-Édouard ! Mais Solange, vous êtes pâle, qu’avez-vous ?
Solange
Oh, euh…rien ! C’ est sans doute l’alcool ! Je vais chercher l’entrée ! (part à la cuisine)

 

Charles-Édouard
Bonne idée ! Toutes ces discussions m’ont mis en appétit !

 

Solange (revient avec un plat et annonce fièrement)
Champignons… à la grecque !

 

Arthur                                      Anne-Charlotte                       Charles-Édouard
(pouffe de rire)                        (retient son souffle)                 (recrache son vin et tousse)

 

FIN